Je vais vous raconter une histoire qui date un peu (beaucoup), je suis partie en weekend à Prague tout début septembre. Et plutôt que de vous parler en détail de la ville et de ce qu’on a visité (oui, « on »), je vais plutôt vous parler de ce que j’ai appelé l’art de provoquer des choses improbables.
La théorie des petits cailloux
Un peu de contexte tout de même. Je suis partie à Prague avec deux amis français, arrivés à Linz en juillet pour 3 mois, pour un stage. Si je les ai rencontré, c’est grâce à la théorie des petits cailloux. Je m’explique.
En arrivant à Linz, pour tenter de rencontrer du monde et de me faire des amis, je me suis inscrite dans tous les groupes facebook d’expatriés de la région. Plus celui des français expatriés en Autriche. C’est ça que j’appelle les petits cailloux : en quelque sorte, je jetais des cailloux dans le vide en espérant que l’un d’eux soit en fait une graine qui fasse germer un truc cool. La plupart des cailloux que j’ai lancé étaient des vrais cailloux, et pendant longtemps facebook ne m’a pas aidé à faire des rencontres. Mais pour que cela change, il fallait que d’autres personnes fassent pareil que moi et lancent ce qu’elles pensaient être des cailloux mais qui ont été pour moi des graines (elle est claire ma métaphore ?). Ça a commencé par un message d’un gars que j’avais rencontré par hasard quelques mois plus tôt (j’étais allée faire du ski avec lui, mais depuis on avait perdu contact), proposant de boire un verre sur les bords du Danube. Je l’ai reconnu, j’ai répondu au message, j’y suis allée, et j’ai rencontré plein de gens super cool. Ce soir-là, j’ai passé une des meilleures soirées que j’avais passé en Autriche jusqu’alors. Et j’ai été intégrée à un autre groupe d’expatriés, plus actif que ceux de facebook, sur le site Meetup, avec un événement organisé chaque semaine. Et qui m’a donc fait rencontrer plein de monde, par effet boule de neige.
Mais c’est de nouveau grâce à facebook que j’ai rencontré mes deux amis français. Ils ont posté un message comme une bouteille à la mer en arrivant à Linz, j’ai reconnu direct par leur noms qu’il sont français, alors j’ai répondu sans trop me poser de questions. Après leur avoir donné pas mal de petits tuyaux (dont le lien de l’autre groupe cité précédemment), on a décidé de se rencontrer et de passer une soirée ensemble. On s’est bien entendu, on a passé un bon moment, et ça m’a fait du bien de parler en français avec des français. On s’est revu à un des événements du groupe d’expatriés, puis encore une fois avant que je parte en vacances. A mon retour en Autriche je leur ai envoyé un message pour leur proposer d’aller à un concert, ils ont accepté direct et on a repris contact comme ça. Et c’est ce soir-là qu’ils m’ont proposé d’aller à Prague avec eux.
Ne pas avoir d’attentes
Prague, j’y étais déjà allée avec le lycée quand j’étais en terminale. J’avais vraiment bien aimé, et je voulais y retourner pour voir la ville dans un autre cadre (pendant un voyage scolaire c’est compliqué de découvrir la vie nocturne) et à une autre saison (c’était en décembre, en plein dans les marchés de Noël). Donc quand ils m’ont proposé, j’ai pas réfléchi très longtemps avant d’accepter. Je connaissais déjà un peu la ville, alors j’avais pas du tout de plan en tête de ce que j’avais envie de faire ou de voir. Ah si, un truc : je voulais manger un Trdelník. C’est aussi bon en vrai que ça en a l’air sur les photos.
Donc je suis arrivée un vendredi en fin d’après-midi, un peu après mes deux amis. Ils avaient déjà eu le temps de faire quelques trucs : trouver le airbnb, chercher où changer nos euros en couronnes tchèques, et visiter les magasins de jouets. La base quoi. Quand je suis arrivée, ils m’ont parlé direct de ce magasin de jouets, ça m’a fait marrer donc c’est l’endroit où on est allé en premier (après le bureau de change quand-même). Et pour cause, c’était un magasin de jouets vraiment stylé, avec toboggan pour descendre d’un étage à un autre et une salle de réalité virtuelle. Et c’est donc comme ça qu’on s’est retrouvé à faire une sorte de mini escape-game en réalité virtuelle. On avait des casques, un sac à dos avec un ordinateur pour faire fonctionner le tout en nous permettant de nous déplacer, et on était dans une salle qui était construite comme l’environnement virtuel dans lequel on évoluait (mais avec zéro décors du coup, le reste était virtuel). J’avais jamais fait de VR, j’ai trouvé ça cool mais sans être autant impressionnée par le truc que mes deux amis.
Et c’est donc ça, ce que j’ai fait en premier lors de mon weekend à Prague. Ce que j’aime avec le fait de partir sans plan défini, c’est qu’on ne peut pas être déçu. Et laisser la place à l’imprévu et à tous les trucs cool qui peuvent se présenter.
Après ça, on s’est baladé dans la ville, j’étais assez surprise de voir que je retrouvais mes marques, alors que ça faisait bien 6-7 ans que j’y étais allée. C’était trop cool, Prague c’est vraiment joli et pour moi c’était déjà rempli de souvenirs très positifs. Voilà plein de photos pêle-mêle de la ville :
Le soir, on est allé dans un resto sympa dont j’ai oublié le nom et ensuite dans un bar qui était vraiment cool, il s’appelle L’Alchimiste. On est rentré tranquillement au airbnb après ça. Le lendemain, on avait pour projet d’aller au musée. Honnêtement, c’était plus eux que moi qui voulaient y aller, quand je suis dans une nouvelle ville en général je préfère me promener et me perdre dans les rues pour prendre l’atmosphère de la ville que de m’enfermer dans un musée. Mais bon, le Národní muzeum ou Musée national de Prague était tout proche de notre Airbnb et nous faisait de l’oeil, et je n’y étais pas allée pendant mon premier séjour scolaire. Alors on y est allé, et je n’ai pas regretté, il était vraiment cool. Et c’est donc là qu’on a fait encore un truc improbable : on a joué au volley dans un musée. Oui. Bon, pour la justification rapide, il y avait une salle d’exposition sur l’histoire du volley (avec donc balles et mini terrain d’entraînement à disposition). Globalement, le musée était vraiment intéressant, bien fait avec beaucoup de trucs interactifs ou immersifs, et la vue depuis la coupole était pas mal (pas de photos ici, elles ont toutes les reflets de la vitre, alors vous allez devoir me croire sur parole !).
Et puis après le musée, mes deux amis voulaient aller faire du pédalo. Pareil, c’était plus leur idée que la mienne, mais j’avais jamais fait de pédalo, il faisait beau et chaud, alors j’ai dit pourquoi pas et on est allé vers le fleuve (la Vltava).
Le hasard fait bien les choses
A Prague, il y a plusieurs spots pour louer des pédalos : notamment près du pont Charles, et sur l’île Slovanský (ou île des Slaves). On a commencé par aller au niveau du pont, mais il se trouve que le loueur n’avait plus de pédalos de disponibles et qu’il fallait attendre 45 minutes. On a donc décidé d’aller vers les autres loueurs, sur l’île. L’attente était un peu moins longue, donc on y est resté et on a fini par partir pour une heure sur le fleuve. Et c’était vraiment cool.
Mais on était pas encore au bout de nos surprises. Il y avait vraiment beaucoup de pédalos sur le fleuve (Prague reste un ville très touristique, même si le covid fait que les rues étaient beaucoup moins bondées que lors de mon premier séjour dans cette ville), et à un moment donné, il y a un gars sur un autre bateau qui nous lancent « hey slow down, you’re going too fast ». On les regarde, on rigole en ce demandant qui c’est ce mec, et on continue (en ralentissant un peu quand-même). Quand on commence à se diriger vers le point de départ pour rendre le bateau, le même mec nous re-lance « hey slow down ! ». Sauf que là, son bateau qu’il partageait avec 2 autres personnes était accroché à un autre pédalo et ils étaient tous en train de discuter avec des bières et des grands sourires. Ils nous ont fait signe de nous rapprocher, on s’est dit qu’ils avaient l’air cool et la situation était vraiment drôle, alors on s’est dit pourquoi pas et on y est allé.
Et c’est comme ça qu’on a fait la connaissance de Denis, un allemand, le mec qui nous avait interpellé, Leaf et Brianna, un couple d’américains en vacances en Europe qui avait rencontré Denis quelques années plus tôt dans une auberge de jeunesse, et d’un groupe d’allemands (ceux du deuxième pédalo). On a discuté un peu avec eux, du style « vous venez d’où » et « vous faites quoi ici », et puis au bout d’un moment, il commençait à être temps qu’on rende le pédalo alors comme ils étaient effectivement cool et que personne n’avait de plan fixé, on s’est dit qu’on se retrouverait sur l’île et qu’on passerait la soirée ensemble. Quand on a rendu le bateau, avec mes deux amis on pensait pas qu’on allait vraiment retrouver les autres, on les a cherché un peu mais on les avait perdu de vue, donc on s’est dit qu’on a passé un moment improbable et que ça ferait quand-même une anecdote sympa.
Sauf que. Leaf (l’américain) nous a vu de loin, et nous a interpellé pour qu’on les rejoigne. Alors on est parti avec eux trois (on n’a jamais retrouvé le groupe d’allemands) pour passer la soirée ensemble. On a commencé par un bar fait de glace, et puis on a continué vers un resto tchèque typique que le tuteur de stage de mes amis leur avait conseillé. Le resto était constitué de grandes tablées en extérieur, où chaque groupe de personnes se côtoyait. Et donc Denis, le mec allemand qui nous avait interpellé, a continué sur sa lancée et a commencé à taper la discute avec un groupe de sud-coréens installé à notre droite, avant d’enchaîner avec un couple d’espagnols à notre gauche. En fait, le mec est vraiment très sociable et s’en fiche totalement de ce que les autres peuvent penser de lui, donc il fait un peu n’importe quoi et on l’a suivi, parce que des fois ça fait du bien. Au final, on a sympathisé avec les espagnols, on leur a proposé de nous suivre pour le reste de la soirée et on est allé dans un bar ensemble. D’ailleurs, fait vraiment cool, quand on s’est installé au resto puis au bar Leaf a insisté pour qu’on sépare les groupes, on s’est installé à table de sorte que chacun soit à côté de quelqu’un qu’il ne connaît pas pour faire connaissance.
Ah oui, et au fil de notre discussion avec nos 3 amis d’un soir, on s’est rendu compte qu’on avait été la veille dans le même bar au même moment. Hasard de fou qu’on se soit retrouvé encore au même moment au même spot de pédalos.
L’art de provoquer des choses improbables
Au final, on a perdu Denis dans le 2e bar où on est allé, puis les espagnols et les américains. On a rencontré quelques français en Erasmus à Prague, mais pareil on a fini par les lâcher parce qu’ils étaient pas si cool que ça. Et on est rentré tranquillement à notre Airbnb, je sais plus à quelle heure mais tard dans la nuit. On a passé une soirée incroyable, et le lendemain on était toujours en train de s’émerveiller qu’on ait vécu un moment aussi fou. On est monté sur le toit de la maison dansante, puis on a continué à se balader un peu, on est tombé sur un petit marché d’art sympa, et il commençait à être temps que je prenne mon train donc on s’est redirigé vers la gare et je suis rentrée chez moi (eux sont partis un peu plus tard en bus).
Qu’est-ce que je retiens de ce weekend au point d’en faire un article près de 6 mois après (après qu’il soit resté plusieurs mois dans mes brouillons, certes) ? Ce weekend m’a rappelé ce que je préfère dans les voyages : les moments inattendus et les rencontres. Mes premiers « vrais » voyages, je les ai fait en immersion dans des familles de locaux, grâce à la section européenne de mon lycée. De mon voyage en Turquie, je me souviens plus des moment passés dans l’établissement scolaire de ma correspondante ou de ce trajet en minibus un soir pour rentrer chez elle (les Turcs dansaient debout dans l’allée du minibus malgré le trafic routier chaotique d’Ankara) plutôt que de la Mosquée Bleue d’Istanbul. Et en fait, je me reconnais beaucoup plus dans cette façon de voyager. Faire des rencontres, partager des moments forts avec des gens qu’on ne reverra probablement jamais après, mais c’est pas grave, ce qui compte c’est d’avoir vécu ces moments.
Alors non, je ne reverrai jamais ce couple d’américains, et le titre de cet article est à ce sens un peu mensonger, mais on a partagé un bon moment ensemble. Ils nous ont fait découvrir un peu de leur culture pendant quelques heures, et ça demande pas mal d’ouverture d’être assis à la table de quelqu’un qui te montre sa collection d’armes à feu.
Et être ouvert aux rencontres, voyager avec d’autres, cela permet aussi de laisser plus de place à l’inattendu : les autres vont forcément influencer la tournure des événements d’une façon qu’on avait pas anticipé. J’ai réalisé petit à petit ici que même si j’aime être seule, j’ai vraiment besoin d’être avec d’autres, notamment pour amener de l’imprévu dans ma vie. C’est pour ça que j’aimais habiter en coloc, pour toutes les petites surprises cool du type la coloc qui décide de cuisiner une pizza et qui, en t’en proposant une part, égaye d’un coup ta journée et te fait oublier les fois où elle a pas vidé les poubelles. Mes deux amis français, comme ils étaient là pour une courte durée, voulaient tirer un maximum de leur expérience en Autriche et faire plein de trucs tout le temps. Alors je les ai suivis le temps de quelques semaines. Et comme ils étaient là pour une courte durée, ils s’en fichaient aussi un peu de ce que les autres pouvaient penser d’eux (dans le meilleur des cas, les rencontres se transforment en amitié durable, et dans le pire des cas, bah la probabilité de se revoir ensuite est quasi nulle), ce qui aide à faire tomber ses barrières et ses filtres et à faire un peu n’importe quoi.
Et c’est ça pour moi, les ingrédients nécessaires pour provoquer des choses improbables : laisser de la place à l’imprévu en ne planifiant pas tout et en ne formulant pas trop d’attentes, parce que le risque d’être déçu ensuite est trop élevé. Faire des rencontres (ou les provoquer, c’est encore mieux) et se laisser au moins un peu embarquer par les autres. Rester ouvert à tout ce qui se présente, et être ouvert aux autres, sans juger, parce qu’ils ne pensent pas comme nous et c’est normal. Et arrêter de réfléchir à ce que le monde autour va penser de nous si on fait tel ou tel truc (soit il s’en fiche, soit il aura bientôt oublié, soit il sera curieux et rentrera dans votre jeu (ce qui va rendre le tout encore plus cool)) pour faire tomber ses filtres et ses barrières qui, en temps normal, nous empêchent d’alpaguer des inconnus sur un pédalo, alors que ça fait un bien fou.